mardi 16 août 2022

A ANGORA AUPRÈS DE MUSTAPHA KÉMAL

A ANGORA AUPRÈS DE MUSTAPHA KÉMAL
Alaeddine Haidar

Le Bruenn, gros paquebot du Lloyd Triestino, lève l'ancre dans la Corne d'Or. Un beau soleil d'automne fait miroiter dans l'onde calme du port les reflets lumineux 2 que renvoient les dômes des mosquées de Stamboul... ce Stamboul à la silhouette encore si belle, mais hélas qui a tout à fait changé depuis que l'Angleterre y a mis son pied, depuis que ses monstres d'acier sont ancrés dans ce paisible Bosphore, dirigeant les gueules de leurs canons--prêts à vomir un déluge de fer et de feu--vers les fins minarets.

En mon for intérieur, pourtant, une joie indescriptible me réchauffe... c'est que je quitte un sol déjà étranger, pour une terre indépendante encore, où se livre la lutte désespérée d'un peuple qui veut son droit à la vie.

Le soir est presque venu lorsque nous perdons de vue, à l'horizon du couchant, l'entrée du Bosphore. La mer est calme et le Bruerm a pris la route du large se dirigeant vers Sinope. Pour vaincre la monotonie d'un voyage en mer, on a tôt fait connaissance de quelques passagers du bord et, à peine confortablement étendu dans le «rocking-chair», les conversations 3 s'engagent avec mes compagnons de traversée.

Quelques-uns des voyageurs se dirigeaient, ainsi que moi, vers Inéboli, d'où je devais me rendre, par terre et en voiture, à Angora; parmi eux, M. Corpi, directeur de la Banque ottomane, et quelques Turcs, se disant de gros négociants de cette ville.

Nous étions déjà bien au large lorsque l'un d'eux, se levant, nous proposa de nous faire faire connaissance avec un de ses amis. Il descendit dans sa cabine pour remonter bientôt, suivi d'un monsieur d'une cinquantaine d'années, qu'il nous présenta comme un commerçant en blé, Mouktalib bey. Mais, dès les premiers mots, j'eus lieu d'être intrigué. Ce simple négociant, qui parlait élégamment l'anglais et le français, connaissait tous les hommes politiques turcs. Après le dîner, nous nous retrouvons tous, de nouveau, sur le pont. Un clair de lune superbe argente les flots de la Mer Noire; vers la côte anatolienne une lumière brille, puis soudain s'efface; c'est le phare de Chilé 4 qui finit, lui aussi, par disparaître au loin. Il est tard lorsque je descends dans ma cabine, car, sur le pont, tous les passagers et passagères ont prolongé leur veille, retenus par le ravissant spectacle de la Mer Noire en pleine nuit, reflétant la longue traînée des lueurs argentées...



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