JOURNAL D'UN SOUS-OFFICIER
Le malheur aigrit. De là les récriminations qui se sont entre-croisées, violentes, acerbes, au lendemain de nos désastres. Nul n'a voulu de bonne foi accepter sa part de responsabilité. Chacun, au lieu de sonder sa conscience, a regardé autour de soi, au-dessus ou au-dessous, selon sa situation, et il lui a été facile de découvrir des griefs chez autrui, car il n'est personne qui n'ait eu quelque reproche à s'adresser. Notre faiblesse était notoire, et le gouvernement impérial fut inexcusable de lancer la France dans une folle aventure. Mais a-t-on oublié comment le peuple français avait accueilli les premières tentatives de création de la garde nationale mobile? Malgré leur fierté de compter le maréchal Niel parmi leurs compatriotes, les riverains de la Garonne reçurent mal ses décrets. Ils y répondirent en brisant les réverbères de Toulouse. Le sort des armes n'eût-il pas changé, cependant, si, à la fin de juillet, quatre-vingts légions, organisées de longue main, avaient pu seconder les efforts de la vaillante armée du Rhin?
A vrai dire, les reproches amers éclatèrent plus tard. Ce fut d'abord de la stupeur à la nouvelle des désastres de Wissembourg, de Froeschwiller et de Forbach. Précieux patrimoine, l'honneur national s'apprécie à sa valeur, comme la santé, quand il a subi une atteinte. La vie sembla s'arrêter à Toulouse. Industrie, commerce, tout fut suspendu. Les boutiques restaient à demi closes, les usines chômaient. Dès le matin, toute la population se portait sur la place du Capitole. Bourgeois modestes, ouvriers en blouse, aristocrates à la mise élégante, étudiants un peu débraillés, tous, confondus en une foule inquiète, venaient chercher vainement sur les murs de l'Hôtel de Ville l'annonce d'un retour de la fortune.
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